Les chroniques d’Hippolyte

#1 – Zoé, Albert et Monsieur Pierre (Mars 2023)

Douze mois se sont écoulés depuis l’ouverture de notre café-boutique. Les quatre saisons se sont succédées et autant de pannes d’électricité. Au-delà de toutes les incertitudes qui jalonnent le projet d’ouvrir un commerce ainsi que de l’impact affectant notre famille et notre santé, s’ébauchent de grandes fiertés. À commencer par la fierté de se réaliser. En tout cas c’est la mienne. Certes, être maman de trois magnifiques enfants m’apporte fiertés et joies, mais la réalisation professionnelle, c’est autre chose.

L’une de ces réalisations prônant au sommet de la liste est celle d’avoir su créer un lieu unique. Il existe des milliers de café-boutique au pays, me direz-vous! Ah mais aucun comme le mien je vous l’assure! Par quoi se démarque-t-il alors?

Par les gourmands qui le fréquentent. Les gourmands, les curieux, les affamés et les assoiffés, les amoureux, les pressés, les flâneurs. Ceux qui doivent suivre un régime de vie strict. Ceux qui cherchent à faire différent. Ceux qui trichent et ceux qui se gâtent. Ceux qui fêtent. Ceux qui détestent les mardis. Les gastronomes et ceux qui « mangent pas grand’ chose ». Les déçus, qui voient bien que pizza et lasagne ne sont plus au menu. Tous-les-mangeurs.

Ils se rencontrent pour la première fois et se mettent à jaser comme s’ils étaient bons voisins, debout devant l’étalage de pains.

Ils se croisent dans l’entrée et se tiennent la porte avec une galanterie surannée, pourtant si naturelle.

Ils exigent de moi le meilleur (qualité, service, saveur et prix) mais à la fois, ils me pardonnent volontiers mes maladresses (retard, manque de rapidité ou inventaire insuffisant).

Cette clientèle sélecte compte à mes yeux.

Je revendique haut et fort le droit de m’émerveiller chaque fois qu’un client passe la porte. Dans ce coin de pays où la moindre course est un détour en soi, je suis heureuse que quelqu’un prenne la peine de s’arrêter chez nous. Délibérément ou par hasard. Et tous ces clients sont les mailles d’une courte-pointe humaine magnifique.

Les mailles du milieu sont occupées par ceux que tous appellent affectueusement « la ligue du vieux poêle », avec monsieur Michel, monsieur Pierre et toute la joyeuse bande qui anime la place chaque jour autour d’un café (ou deux). Ils parlent fort, d’un langage coloré, ils rient ensemble. Ils se connaissent depuis la tendre enfance et St-Hippolyte n’a presque aucun secret pour eux. Ce sont comme les gardiens du village, ceux qui veillent, qui chicanent, qui rabrouent. En même temps, ils sont les témoins d’une époque. Ils pourraient vous en raconter pendant des heures. Je pourrais peut-être monter une séance et faire payer l’entrée…Fred Pellerin n’a qu’à bien se tenir!

La courte-pointe s’ennorgueillit aussi des plus charmantes dames de la région, aimables et respectueuses à souhait. Et des travailleurs, ceux qui triment dur, qui se partagent entre la marmaille et le travail, éreintés mais tellement si plein de bienveillance. « Du ben bon monde ».

Et dans le même espace si restreint qu’est « l’ancien resto Primo », la porte s’ouvre quotidiennement sur de jeunes parents TOUJOURS souriants. Évidemment que je les salue, cependant mon coeur fait un bond en apercevant Albert dans les bras de maman ou Zoé titubant avec légèreté car elle commence à peine à marcher…Albert, Zoé et tous les autres bouts-de-chou qui, après un an , me reconnaissent maintenant et me sourient. Plus de regards inquiets ni de moues maussades, ceux qu’ils adressent aux étrangers.

Je ne suis plus une étrangère pour ces mini-gourmands.

Alors vous voyez? Vous voyez bien que mon café-boutique est unique? Car il n’y a que chez moi que monsieur Pierre, Zoé et Albert se rencontrent.

Magali

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