Les chroniques d’Hippolyte

#7 – Cordonnier mal chaussé? (Août 2023)

Cette expression est connue de tous. Je suis membre de ce club pas très sélect qui attise en nous une certaine honte et son lot de regrets. Il y a le coiffeur au cheveu négligé, le professeur qui a du mal à faire aimer les devoirs à son enfant et le dentiste qui a une carie. Il y a le cardiologue qui fait du mauvais cholestérol et le designer d’intérieur qui n’a pas décoré son salon au goût du jour. Et il y a moi. Moi qui m’échine à faire les meilleurs sandwichs pour mes estimés clients, créant des boîtes à lunch gourmandes, et qui ne réussit pas toujours à transmettre cet intérêt épicurien à mes trois adorables (et difficiles) petits bedons quand vient le temps de dîner.

Ils étaient curieux

Il fut un temps où ils vouaient une passion pour les olives et le fromage bleu. Ils goûtaient à tout. Ils étaient curieux. Mon cœur de maman se gonflait de fierté. C’était le bon temps. Aujourd’hui, la vue du fromage bleu les terrifie. Aucun de mes enfants n’est contraint par une condition restrictive : pas d’allergie, d’intolérance, de maladie. Ils n’ont aucune excuse! Ils devraient se pâmer pour tout ce que le Guide alimentaire canadien a à offrir et remercier le Ciel (et leurs parents) de les nourrir avec autant de variétés!

Eh non! Bien que mon 9 ans revienne à une sélection d’aliments plus raisonnable, mon 7 ans et ma 4 ans ne jurent que par la crème fouettée, le chocolat, les croustilles et les frites. Et les pâtes, bien entendu. De la viande ? Si ce n’est pas dans un hot-dog ou un burger : beurk! Je réussis bien à leur faire avaler des fruits parfois, mais il ne s’agit pas de la vulgaire pomme qui va revenir brune dans la boîte à lunch au bout de quatre jours de va-et-vient. Oh que non! Ce serait trop facile. Ils vont plutôt opter pour TOUTES les framboises achetées à prix d’or, qu’ils vont engloutir en six minutes. Le melon d’eau a aussi la cote, je dois l’admettre. Parfois la banane, quand elle a la bonne couleur, la bonne texture. Et le concombre qui vient du potager. 3-4 fruits et légumes (sur 700 variétés) : pas si mal.

Parfois ça fonctionne, parfois non

Mais je suis injuste: ils raffolent aussi du poisson cuisiné maison. De bons omégas, me direz-vous! Alors je sais bien qu’à la fin d’une journée, avec les quarante-sept collations ingurgitées, ils mangent plutôt équilibré. C’est le sempiternel repas du dîner qui pose problème.

Même si je mets de la couleur, une présentation digne de magazines, avec les petits bonhommes créés de toute pièce avec du chou-fleur en guise de cheveux, les bleuets pour les yeux, alléluia! Même si je soigne chaque aspect pour que ça leur donne envie de goûter : parfois ça fonctionne, parfois non. Même lorsque je suis la bonne idée des nutritionnistes en « impliquant » mes enfants dans l’élaboration de ladite boîte à lunch, parfois ça fonctionne, parfois non. Leur propre sandwich revient intact! Ils se boudent eux-mêmes : faut le faire!

Alors je me dis que je dois leur faire confiance et qu’ils ne se laisseront pas mourir de faim. Charles dit qu’il avait moins d’appétit ce midi ? OK… Chloé préfère manger son sandwich en collation et sa barre tendre au dîner ? OK… Ils n’aiment pas les pommes, mais préfèrent les framboises ? Bon… On ajustera le budget. Ils ont tendance à manger le dessert, mais pas les carottes ? Alors je mettrai des carottes dans le dessert. Astuce, astuce.

La gestion de la boîte à lunch de mes chérubins me donne à réfléchir sur le menu que j’offre à mes clients. Je me dis que si moi, je rencontre ces difficultés, je ne suis probablement pas la seule. Alors je travaille à créer un menu de collations santé que je testerai sur mes petits en premier.

Le meilleur jambon-mayonnaise de ta vie!

Et quand j’ai un enfant devant mon comptoir, à la boutique, qui lève le nez sur mes sandwichs garnis de dinde fumée, de brie et de moutarde de Dijon, je ne m’en formalise pas.

« Qu’elles saveurs tu aimes avoir dans ton sandwich ? »

« Du jambon et de la mayonnaise »

« Tomates ? »

« Non »

« Laitue ? »

« Non »

« Super. Je te fais ça. Ce sera le meilleur jambon-mayonnaise de ta vie! »

J’ai généralement droit à un sourire. Je sais alors qu’il y aura un bedon heureux ce midi. Un bedon qui aura l’impression d’être respecté, d’être écouté. Un bedon à qui on a dit : tes goûts et ton appétit changent et c’est normal. L’important, c’est que tu manges.

Et peut-être que l’an prochain, tu aimeras le fromage bleu!

Magali