Les chroniques d’Hippolyte

#8 – Le droit de baisser les bras (Octobre 2023)

Septembre a été difficile, malgré une température étrangement extraordinaire. Un soleil d’été répandait cette satanée chaleur que nous avions tant attendue tout l’été. Perso, j’ai trouvé ça frustrant. Ce climat estival tardif faisait un pied de nez à nos coutumes saisonnières : retour au boulot, rentrée scolaire, inscriptions aux cours, résolutions diverses. On savait que le temps des gilets de laine et des mitaines s’en venait, nous sommes programmés depuis toujours à aller aux pommes par temps frais. Les costumes d’Halloween s’accrochent dans les boutiques spécialisées. On sort nos décorations d’automne, des feuilles d’érable multicolores et des citrouilles sur les bottes de foin. On commence à avoir hâte d’allumer le poêle à bois et de mijoter une soupe à l’oignon gratinée. Pourtant, septembre 2023 fut une succession de jours de canicule où on rêvait davantage d’un mojito frappé que d’un chocolat chaud extra guimauves.

Les microbes nous attendaient

Et pour moi, ce fut une succession de petits malheurs, de jours sombres, de défis, de changements stressants. Un mois de maladie pour tout mon clan, moi compris. Les microbes nous attendaient dans le détour et puisque notre système immunitaire avait baissé la garde après les vacances : et paf! Tous foudroyés! À un point tel que j’ai dû fermer boutique pour prendre du mieux et aussi soigner mes chérubins fiévreux.

À l’agenda de septembre avaient été inscrits des travaux de rénovation du local. Il fallait réaménager, réorganiser. Mais que se passe-t-il lorsque nous sommes malades? Que le corps ne veut pas suivre? Que la fatigue nous terrasse? Moi, je sombre dans la déprime. Je vois tout le travail en retard, tous les comptes à payer et l’argent qui n’est pas rentré. Je vois des clients déçus ou irrités parce que je ne suis pas à la hauteur. Je vois mes créanciers qui se foutent totalement de ma fièvre. Et plus je me fâche, plus je pleure, plus je me rends malade. Ma bonne alimentation prend le bord. J’ai du mal à dormir. Je suis écrasée par la pression.

Je baisse les bras. Je n’en peux plus.

Avons-nous encore le droit de trouver ça difficile? D’être submergée? Même si on est en bonne santé globale, qu’on est foncièrement heureux, que notre famille file le parfait bonheur et que nous n’avons aucune raison de nous plaindre? J’aurais voulu profiter de septembre et de son petit air de fiesta moi aussi. Aller sur les terrasses et jouer encore au golf. Mais entre deux nausées et deux biscuits soda, j’essayais d’être présente pour mes amours qui commençaient une nouvelle année à l’école. Quel septembre tout croche. Je ne me sentais pas en ordre nulle part. Comprenez-vous ce que je veux dire? Être en ordre, droite dans nos affaires, à temps dans les échéances. Au diapason de nos sacro-saintes résolutions. Les soupers de la semaine cordés dans le congélateur. En-or-dre!

C’était plutôt un septembre « en retard »

Hésitant. Décevant. Pourtant. Pourtant les clients m’ont communiqué une incroyable force, par leurs encouragements. Si moi, je ne voyais que les murs que je n’avais pas encore peinturés, les produits que je n’avais pas encore reçus, les recettes que je n’avais pas encore testées, eux voyaient tout le reste. Parce que j’en faisais quand même beaucoup, sans m’en rendre compte. J’avais déjà apporté de beaux changements au commerce dont j’étais plutôt fière.

Ensuite, octobre a filé comme l’éclair

Nous apportant enfin les odeurs de soupe mijotée dans son sillage. Si en septembre j’ai baissé les bras, octobre m’a redonné le goût de me retrousser les manches. Mes enfants ont fait des pas de géant à l’école. Il y a deux mois, Charles, première année, ne savait pas lire. Et maintenant, il sait. Il y a deux mois, je n’en voyais pas la fin. Je ne comprenais pas comment j’allais faire pour arriver à Noël en même temps que tout le monde. J’avoue avoir eu l’idée de fermer boutique. De tout arrêter. Je trouvais un mince réconfort dans l’idée qu’une autre vie serait tellement plus facile. Il y a deux mois, étais-je la seule à vaciller? Étais-je la seule étourdie par le trop-plein de la rentrée? La seule affaiblie?

Aujourd’hui, je regarde ma boutique pimpante (oui, il me reste toujours un mur à peinturer!), je cuisine avec intérêt, je m’amuse avec mes clients, je fais des projets. Et j’écoute Charles lire un livre à haute voix. Dans le fond, septembre n’était qu’un mauvais moment à passer. Et là, j’ai tellement hâte à Noël!

Magali

 

Les chroniques d’Hippolyte

#6 – Mais comment font-ils, les autres? (Juillet 2023)

Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d’être invitée à un événement qui célébrait les 40 ans de notre journal Le Sentier. out le gratin journalistique, politique et culturel hyppolitois y était. On m’y avait conviée pour représenter, avec ma collègue Valéry, les gens d’affaires locaux. Certes, l’expérience était fort enrichissante. L’assemblée joyeuse partageait une fierté palpable d’avoir participé, au fil des années, à la création d’un journal de qualité. Les discours firent leur effet, les petites bouchées s’avalaient avec gourmandise…Une belle soirée.

Cependant, en écoutant les récits autour de moi, une chose me frappa: il revenait souvent dans les conversations le fait du bénévolat, du don de soi, de la générosité, de la passion. Tout autour, des enseignants, des gens d’affaires, des professionnels de tous les métiers, racontaient le plaisir qu’ils avaient eu à écrire pour Le Sentier, en parallèle avec leur « vraie » vie. L’expérience était unanime: formidable – agréable – inoubliable.

Je suis ressortie de cette soirée songeuse, poussant ma réflexion vers tous ceux qui savent brillamment cumuler travail, vie de famille et passion connexe. Une mère de famille qui trime dur avec son mari à la tête d’une entreprise, qui réussit à suivre leurs garçons à la pratique quasi quotidienne de leur sport et qui, en plus, trouve le temps d’écrire des articles pour le journal? Une étudiante qui cumule boulot, stage, organisation d’activités communautaires et qui parvient à livrer son texte mensuellement? Et même s’ils n’écrivent pas, comment font-ils, les autres, pour tirer toutes les ficelles de la vie sans ne rien échapper?

J’ai une vie si simple. Je la voudrais un peu plus compliquée, dans le sens où beaucoup de projets restent sur les tablettes par manque de temps. Pourquoi ai-je l’impression d’être la seule à rouler sur un cadran de 24 heures? J’entends amis et clients me parler de toutes leurs réalisations quotidiennes et ça me sidère! Pourquoi ne semblent-ils pas épuisés à 16h25, lorsqu’ils viennent m’acheter un pain pour accompagner l’osso buco qu’ils ont réussi à cuisiner, malgré des réunions interminables au boulot, la gastro du petit dernier et le spectacle de danse de la plus grande? J’exagère, mais à peine. Ils suivent un rythme de fou!

Lorsque j’étais enfant, mes parents étaient commerçants et travaillaient de très longues heures. En même temps, mon frère et moi avons suivi des cours de mannequinat, de diction, de claquettes, de judo, de natation…Notre vaste cour était entretenue avec la rigueur du Jardin Botanique. La maison brillait comme un sou neuf. « Mais vous étiez négligés, pauvres enfants! » me direz-vous? OH QUE NON! Les jeux de société le samedi soir, les sorties dans la famille au gré des fêtes annuelles, les visites dans les musées et les expositions, le tour de la Gaspésie, du Nouveau-Brunswick… Alléluia! Nous-n’avons-manqué-de-RIEN. Comment diable ont-ils fait? Je ne me l’explique pas. Par extension, le mystère s’étend à plus d’un siècle: comment réussissaient-ils, les ancêtres, à élever 12 enfants, traire les vaches aux aurores, labourer le champ, cuisiner le pain et les confitures, coudre les vêtements…??? Toujours dans des journées de 24 heures, ne l’oublions pas!

Aujourd’hui, j’analyse la vie que mon homme et moi offrons à nos enfants. Sommes-nous un modèle parental suffisamment dynamique? Sommes-nous des parents paresseux parce que nous aimons le confort et le ferniente? En quelle année pourrai-je terminer tous ces projets qui me font trépigner d’impatience? Des sages, proches de moi, me murmurent à l’occasion que je réalise beaucoup plus de projets que je ne le pense. Que je créé, je communique, je partage à ma manière, par le biais de mon implication auprès de mes 3 petits choux ainsi que par celui de ma boutique.

Oui, peut-être. Pourtant je voudrais tant être plus loin dans le processus. J’arrive bientôt à 50 ans. Soupir. J’ai parfois la sensation désagréable de ne pas avoir encore commencé à vivre. Tant de choses à voir, à dire, à découvrir, à goûter, à lire, à aimer ou à détester. Il m’arrive de croire que mon 9 ans accomplit plus de choses que moi dans une journée d’école et que ma 4 ans est gonflée à bloc après une simple journée à la garderie. Oui, parfois, en me comparant, je ne me trouve pas à la hauteur. Jusqu’à ce qu’un estimé client me demande, ébahi: « Mais comment faites-vous donc? Où trouvez-vous le temps d’écrire ces chroniques, de peindre vos menus, de gérer votre commerce et d’élever 3 enfants?! Est-ce qu’il vous arrive de dormir? ». Je souris. Quand on a les deux pieds dans l’action, on ne réalise pas tout de suite tout ce que l’on accomplit. Sans s’en rendre compte, en suivant le courant, en faisant de son mieux.

Peut-être que dans 40 ans, tout comme ces artisans du Journal Le Sentier, j’aurai moi aussi l’impression du devoir accompli, fière du chemin parcouru. Je serai sans doute une grand-maman, me berçant au coin du feu, et je demanderai à mon homme « Dis donc, te souviens-tu quand les enfants étaient jeunes? Le boulot, l’école, les activités, la boutique…Comment on a fait? »

Magali

 

Les chroniques d’Hippolyte

#5 – La fierté dans le coeur et dans le bedon (Mai 2023)

Dans une chronique précédente, je soulève la question « comment expliquer la fête de Pâques à mes enfants nonpratiquants? ». À l’approche de la Journée des Patriotes, cette année je me fais un devoir de raconter l’histoire avec une narration
facile à comprendre pour mes 4-6-9 ans. Au-delà des faits d’armes et prises de position politiques défendues par ces illustres
gaillards, fin des années 1830, je veux faire ressortir cette extraordinaire fierté partagée encore aujourd’hui par la majorité des
Québécois.

Une fierté de langue, même si nous la maltraitons un brin. Une fierté de culture, une fierté de gastronomie. Une fierté de
liberté de parole que bien d’autres nations nous envient en silence.

C’est donc sous cet angle que j’expliquerai le Jour des Patriotes à mes petits marsouins. Ils ne sont pas encore rendus à se
demander si le Roi Charles III a raison d’être leur souverain, aujourd’hui, en 2023. Il ne se demandent pas encore si leurs petitsenfants parleront français à vingt ans. Ils ne se soucient pas du poids écrasant que l’économie étrangère mets sur nos frêles
expertises commerciales. Quant à la précarité de notre identité culturelle, cela ne leur dit strictement rien.

Cependant je félicite l’école de mon grand, qui lui a appris à chanter Gilles Vigneault, en début d’année.

« C’est monsieur de la Misaine , qui dit qu’il est capitaine
Mais moi j’ai vu son bateau, naviguer dans le ruisseau
Barati Baratin, haut-fond
Un haut-fond dans son jardin …. »

Un effort à la fois, un détail, une parole, une citation reprise, redite, répétée…Une oeuvre à la fois…Signée par tous nos grands, qu’ils soient artistes, politiciens, citoyens engagés, mamans au foyer, papas débordés, enfants curieux…Notre société est si belle, une courte-pointe de coeurs qui se métissent.

Je veux dire à mes enfants que cette fierté n’est pas une exclusivité « made in Québec ». Nos chères Premières Nations
sont fières. Les Irlandais son fiers. Tout peuple doit défendre jalousement son droit d’exister. En particulier ceux qui frôlent
l’extinction, avalés, ose-je dire « colonisés »?

Battez-vous mes enfants, pour la survie de nos doits et libertés.

Vous êtes privilégiés, certes, de grandir sur une terre d’accueil magnifique, de connaître les 4 saisons dans votre jardin, de
crier et de pleurer selon vos émotions, de rire aux éclats, de pouvoir exercer le métier de votre choix, sans aucune restriction de race,
de religion ou de langue.

Battez-vous, chers enfants, pour que le sirop d’érable et la poutine continuent d’être engloutis par des bedons somme toute bien nourris. Accompagnez-les de houmous et de toutes les épices du moyen-orient. Ouvrez les bras à toutes les odeurs, toutes les saveurs. Répondez à tous les sourires du monde. Apprenez à parler plusieurs langues. Reconnaissez les droits de tout être humain et protégez la vie. Celle d’une plante, d’un chat ou d’un enfant. Assoyez-vous près d’une personne d’un autre âge et écoutez ce qu’elle a à vous dire.

Tout cela, faites-le en vous souvenant de votre petit coeur de québécois qui palpite dans votre poitrine.

« Je me souviens ». Cela vous dit quelque chose?

Vous n’êtes pas obligés de tout aimer. La voix de Félix Leclerc ne vous touchera peut-être pas. Mais l’avez-vous entendu ne serait-ce qu’une fois? À quoi ressemble celle de Richard Séguin, de Johanne Blouin, d’Alys Robi? Reconnaîtrez-vous une toile de Riopel?

Mais tout cela, beaux enfants, c’est à moi de vous l’apprendre. Certes, l’école a un rôle de mémoire. La société toute entière doit vous enseigner cette histoire qui est la nôtre. Et aussi vous faire découvrir ces technologies et leurs savants, bien québécois, qui font avancer le monde entier, en neuro-science, en intelligence artificielle et jusqu’à la NASA.

Mais pour la voix de Félix et le houmous au sirop d’érable, c’est à moi, votre maman, de vous les faire connaître. C’est moi qui vous éduque et qui doit prêcher par l’exemple. Car si moi, je n’aime rien de ce qui se fait chez nous, si je critique sans rien de constructif à la clé et si j’envie tout ce que font nos voisins en pensant qu’ils font toujours mieux que nous, comment pourrai-je vous convaincre de l’importance d’être fiers?

Fiers d’être Québécois.

Fiers d’être vous-mêmes.

Magali